Le
film nous plonge dans un univers où les sens sont fortement sollicités :
une musique très expressive, des couleurs chaudes, un côté plastique indéniable
sans tomber dans une tendance esthétisante gratuite qui ne serait que pur
décor. En effet, l’espace dans lequel évolue la femme est le lieu d’une
tension : d’un côté les photographies
d’un mari et d’un fils absents, encadrés et déposés un peu
partout ; de l’autre une atmosphère, un climat, qui laisse la part belle à
la vie et à la beauté. D’emblée, le décor attire l’attention, une chaleur du
foyer se fait pressentir où plantes, couleurs, broderies, objets de décorations
suscitent des émotions et nous attirent nettement plus vers l’intensité du
moment présent que vers la présence mortifère de l’absent, incarnée par toutes
ces photos - qui elles-mêmes, par
moments, se défigent dans de longs travelling accompagnés d’une musique
éminemment sensorielle.
Ainsi
perçu, le décor peut être considéré à son tour comme un personnage et joue son
rôle dans l’histoire qui nous est racontée. Il est en soi agir. Alors que
raconte Haneen à travers tous
ses ingrédients? L’histoire d’une femme qui au réveil attend une lettre. Nous
la voyons sortir, retirer la clé intimement cachée dans son sein, ouvrir sa
boîte aux lettres qui s’avère vide. Puis se dirigeant vers la façade de sa
maison, elle grimpe sur une chaise et arrache scrupuleusement le numéro qu’on
vient d’installer sur son mur. Accomplissant cet acte une première fois, elle
ne fait que se blesser. Nous la voyons nettoyer et panser sa blessure avant de
se rendre compte de la présence d’un enfant tentant de cueillir une orange. Les
traits de l’exaspération sur son visage se métamorphosent alors en sourire
éblouissant. La première fois où elle pose son
regard sur l’enfant sans qu’il ne s’en rende compte est un moment
cinématographique à part, il se passe quelque chose qui dépasse tous les mots
dans ce sourire qui éclaire son visage, assombri au préalable sans doute par la
crainte du retour du poseur de numéros. Le plan subjectif où elle le perçoit
sur l’oranger en rappelle un autre, celui qui ouvre La Porte du soleil de
Yousri Nasrallah. On ne peut s’empêcher de penser à ce rameau d’oranger emporté
dans le camp des réfugiés et à la voix d’une autre dame au visage tout aussi
expressif qui en fait la métonymie de la Palestine : « ceci n’est pas
à manger, c’est la Palestine ».
Le lendemain, le numéro réinstallé une deuxième
fois, nous voyons le personnage répéter les mêmes gestes, sortir, inspecter la
boîte aux lettres toujours vide et puis avec le même élan s’acharner contre ce
numéro. Elle tombe de sa chaise sous les yeux de l’enfant. Nous ne voyons pas
son visage mais son orange tomber et parcourir le sang de sa bienfaitrice,
deuxième don, celui de son sang, comme dernière manifestation de vie laissée en
héritage à l’enfant. Le dernier mot du film est à la vie, à l’avenir.
L’intensité du désir de vivre est aussi dans cette flaque de sang contemplée
par un enfant que nous voyons de dos face à la maison dans le dernier plan du
film. L’acharnement à refuser la réduction de son foyer à un numéro devient
acte de résistance, une réaffirmation du droit de la vie sur la mort, un refus
d’être quadrillée, contrôlée, réduite à une adresse.Paru dans le quotidien des Rencontres internationales des cinémas arabes, Marseille, 2013.
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