vendredi 9 mai 2014

Le retour du refoulé dans Derrière moi les Oliviers de Pascal Abou Jamra



Dans Derrière moi les oliviers, un sujet tabou par excellence est abordé avec beaucoup de simplicité et de profondeur : la collaboration de l’Armée du Liban Sud avec Israël. Un film courageux que la jeune cinéaste libanaise Pascale Abou Jamra tourne presque en famille. La question n’est pas abordée de manière frontale ; pas de discours mais des situations où le poids du passé se fait sentir à travers le vécu d’une jeune fille à peine sortie de l’adolescence et de son petit frère qui reviennent au Liban après dix ans d’absence passés dans le camp ennemi.
La question de l’héritage, du legs, de la transmission de la culpabilité est posée sans pathos. On peut penser aux enfants de la collaboration algérienne ou aux premières générations allemandes qui ont hérité du nazisme ; le tabou et la culpabilité sont aussi forts aujourd’hui pour le monde arabe quand il s’agit d’Israël. La trahison des parents pourchassent les enfants. Leur  réintégration – impossible, si on s’en tient au scénario dans sa linéarité – est pour le moins revendiquée intelligemment et avec une pudeur touchante.  En effet, il y a quelque chose d’universel qui traverse  en filigrane le film : d’abord l’âne, exsangue, qui devient personnage à part entière, ensuite ces magnifiques plans fixes sur le lever et le coucher du soleil (le traitement de la lumière est à lui seul une aventure), ou encore ce gros plan sur le visage de la grand-mère, creusé de rides…D’autre part, et de manière peut-être un peu plus explicite, il y a Babel et les langues dispersées : Mariem qui raconte son histoire en voix off le fait en arabe et en hébreu (alors que, terrassée par le non-dit et le poids de la honte qu’on lui renvoie, on l’entend très rarement prendre la parole) et  puis bien sûr la voix de Piaf qui chante l’amour au moment où des Français viennent acheter à manger. Nous sommes tous les enfants de la terre et l’erreur – devrions-nous dire l’horreur – est universelle. Si la culpabilité doit circuler d’une génération à une autre, qu’elle soit alors assumée par tous les hommes. Car en remontant à l’origine des origines, ce serait à l’espèce humaine, indépendamment de toute appartenance, qu’il faudrait demander des comptes, ou bien peut-être à l’olivier, arbre ancestral dans cette région et symbole d’une paix qui demeure impossible.

  Paru dans le quotidien des Rencontres internationales des cinémas arabes, Marseille, mai 2013.

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