samedi 10 mai 2014

L’aventure des corps à travers l’espace dans Round trip de Meyar al Roumi

  
Deux jeunes amoureux à Damas n’en peuvent plus de se cacher pour vivre leurs étreintes. Ce n’est pas l’homme (Walid) mais la jeune femme (Souhair), plus entreprenante, qui propose un voyage afin qu’ils se retrouvent librement dans l’appartement d’une amie. La destination : Téhéran. Oui vous avez bien entendu, Téhéran, l’une des nombreuses attentes déjouées du spectateur. Round trip est ce voyage fascinant où l’on est emporté aussi bien par les paysages magiques entre Damas et Téhéran que par les visages du couple s’offrant aux grés des mouvements de leurs émotions. Astucieux « petit voyage » : « michouar » en arabe évoque un  laps de temps plutôt court. Alors que la durée du film, faite de travellings sur les « paysages-tableaux » du parcours, ouvre le temps de la contemplation et va ainsi à l’encontre du titre, sans doute pour marquer l’impact profond de cette traversée. La fréquence des travellings rappelle l’origine de cette invention, fruit d’un simple hasard dans l’histoire du cinéma puisque due à une prise de vue à partir d’une embarcation. Consistant en une caméra qui fait corps avec l’outil de transport, cette technique acquiert ici tout son sens.
C’est un couple, surtout une jeune femme qui fait sa propre révolution en traversant des paysages d’une éblouissante beauté, en passant par des villes plus ou moins conservatrices. Leur voyage est d’autant plus captivant qu’il aborde les possibilités et les impossibilités de jouir de son propre corps selon les lieux de passage, ce qu’exige la loi face à ce qu’exige l’élan des cœurs et des corps. Vu de l’extérieur, le politique et le communautaire semblent avoir des droits sur ce qu’il y a de plus intime. Mais la virtuosité du film est de nous mener à constater la liberté des épanchements, jamais contrariée par la loi. Une séquence clé : l’ardeur de la femme est freinée au retour, mue non pas par une quelconque police du dehors mais par la métamorphose de son regard envers l’autre. L’évolution du couple amoureux se lit en effet à travers les corps qui se font, se défont, s’attirent ou s’éloignent ; le corps devenu dans le film un langage à part entière initiant le spectateur aux soubresauts fragiles et souvent indétectables des âmes. Langage des corps à contre-courant du langage de la loi, une belle expression de la manière de se préserver du pouvoir même dans les situations les plus intimes. La proximité des corps ne suffit plus, collée à l’homme au moment des ébats amoureux du retour, Souhair semble pourtant déjà bien loin.
Néanmoins, nuance : dans le film de Meyar al Roumi, le train, le ferry, ne sont pas des lieux de passage au sens initiatique du terme. L’esquisse de la transfiguration était là, bien avant leur départ. Dans l’un des premiers plans, les personnages rejouent la scène de leur rencontre dans le même taxi, devenu lieu de leur intimité. Un besoin de vivre plus amplement leur amour les mène au-delà des frontières géographiques mais l’étincelle précède le voyage. Leur idylle les transportera, non par hasard, vers des frontières de l’humain amoureux rarement aussi bien rendues dans ce qu’elles ont de plus ambigües. Autrement dit, le transport, l’élan, le mouvement préexistent au voyage vers Téhéran, celui-ci n’a fait que les dévoiler,  n’est-ce pas l’une des ambitions du cinéma que de jouer avec les liens entre visible et invisible ? Transposée sur la révolution, ce langage cinématographique semble avoir la même conviction : l’acte de Bouazizi, première flamme de la révolution tunisienne à laquelle une référence subtile est faite au moment où Souhair a convenu de partir, n’est que la manifestation d’une métamorphose mentale et sociale qui couve depuis un temps et qui continuera à s’actualiser.

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