C’est
un couple, surtout une jeune femme qui fait sa propre révolution en traversant
des paysages d’une éblouissante beauté, en passant par des villes plus ou moins
conservatrices. Leur voyage est d’autant plus captivant qu’il aborde les
possibilités et les impossibilités de jouir de son propre corps selon les lieux
de passage, ce qu’exige la loi face à ce qu’exige l’élan des cœurs et des corps.
Vu de l’extérieur, le politique et le communautaire semblent avoir des droits
sur ce qu’il y a de plus intime. Mais la virtuosité du film est de nous mener à
constater la liberté des épanchements, jamais contrariée par la loi. Une
séquence clé : l’ardeur de la femme est freinée au retour, mue non pas par
une quelconque police du dehors mais par la métamorphose de son regard envers
l’autre. L’évolution du couple amoureux se lit en effet à travers les corps qui
se font, se défont, s’attirent ou s’éloignent ; le corps devenu dans le
film un langage à part entière initiant le spectateur aux soubresauts fragiles
et souvent indétectables des âmes. Langage des corps à contre-courant du
langage de la loi, une belle expression de la manière de se préserver du
pouvoir même dans les situations les plus intimes. La proximité des corps ne
suffit plus, collée à l’homme au moment des ébats amoureux du retour, Souhair
semble pourtant déjà bien loin.
Néanmoins,
nuance : dans le film de Meyar al Roumi, le train, le ferry, ne sont pas
des lieux de passage au sens initiatique du terme. L’esquisse de la transfiguration
était là, bien avant leur départ. Dans l’un des premiers plans, les personnages
rejouent la scène de leur rencontre dans le même taxi, devenu lieu de leur
intimité. Un besoin de vivre plus amplement leur amour les mène au-delà des
frontières géographiques mais l’étincelle précède le voyage. Leur idylle les transportera,
non par hasard, vers des frontières de l’humain amoureux rarement aussi bien rendues
dans ce qu’elles ont de plus ambigües. Autrement dit, le transport, l’élan, le
mouvement préexistent au voyage vers Téhéran, celui-ci n’a fait que les dévoiler,
n’est-ce pas l’une des ambitions du
cinéma que de jouer avec les liens entre visible et invisible ? Transposée
sur la révolution, ce langage cinématographique semble avoir la même
conviction : l’acte de Bouazizi, première flamme de la révolution tunisienne
à laquelle une référence subtile est faite au moment où Souhair a convenu de
partir, n’est que la manifestation d’une métamorphose mentale et sociale qui
couve depuis un temps et qui continuera à s’actualiser.
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