mardi 13 mai 2014

Light horizon, un peu de bruits pour la vie

Un film, un  plan, light horizon réussit à capter notre attention, plus, à nous emporter dans son univers et à nous émouvoir en moins de huit minutes. Un film très sobre, une seule prise de vue qui nous renvoie  à l’origine du cinéma, cinéma quasi muet, d’autant plus expressif  et poétique qu’il est exempt de mots. Néanmoins la touche moderne du bruitage y introduit, intact, le « bruissement »  du monde : eau, sifflement du vent, gazouillement,  ainsi que  le bruit d’un balai primordial que l’on entend avant l’avènement du plan, rumeurs de la nature et rumeurs de l’Homme  s’entremêlent dans le mouvement des rideaux exposés aux vents…
Comme le plan est fixe, c’est le regard du spectateur qui est en mouvement. Le regard ne peut s’empêcher d’inspecter le champ à la loupe. Des murs troués de balles, gravés de prénoms, messages d'amour et de haine, traces du passé venant se superposer à l’instant présent offert. De ce voyage dans le temps (ici, pas besoin de travelling), on se repose en regardant au loin l'horizon de la « fenêtre-tableau », et puis retour du regard vers cette femme qui essaie d'assainir et d'embellir cet espace en ruines.
Une femme tout habillée de noir, comme endeuillée, s’acharne à frotter le sol, pour rendre l’endroit plus habitable. Elle le fait pendant six minutes, la durée  du plan se fait sentir, son épaisseur aussi. Une fois le sol lavé, elle installe une belle table couverte de blanc, une petite fontaine, une chaise ; des gestes simples. Elle ouvre les rideaux blancs de la fenêtre qui laisse entrevoir l’horizon comme par intermittence, qui font sa silhouette être, disparaitre, être \ disparaître… dans et hors champs.
La chambre en ruine évolue progressivement vers la vie, littéralement entrevue à travers le flottement, l’entrebâillement des rideaux blancs libérés par la femme en noir, oui, la résistance de la vie est à la mesure de l’acharnement avec lequel le sol est frotté, à la mesure de ce  geste quotidien. De tout cela se dégage un sentiment de vie qui subsiste, que rien n’évince.  Capté par une poésie singulière, par une dimension ontologique, le spectateur ne s’en détachera pas vers la fin, après l’ancrage de ce lieu dans la cartographie du monde.
Tous les ingrédients du cinéma sont là : cadrage, surcadrage, ombre et lumière, profondeur de l’image, l’écran, les écrans, la femme en spectatrice de l’horizon, matérialisent sous nos regards, très subtilement, sans trop de bruits, l’universel hymne à la vie, celle qui finit toujours par émerger des ruines comme cet Horizon léger qui s’impose au spectateur. Vous n’en finirez jamais avec l’épaisseur de ce plan, de ce film de Randa Maddah !

Paru dans Le Quotidien des Rencontres internationales des cinémas arabes, Marseille 2014.


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