Karama Karama est un film
déconcertant, il nous tient de bout en bout pour que tout recommence de plus
belle au dernier plan. Que s’est-il passé ? Pourquoi je ne comprends pas ?
Il s’est pourtant bien passé quelque chose. Anouar débarque à Dubaï pour
rencontrer Amir El Kais, son collègue. L’éblouissement de son regard au moment
où il traverse une sorte de lac sera vite remplacé par une inquiétude quand il
arrive dans un chantier en construction en plein désert que la caméra parcourt
en suivant les pas du personnage. Quelque chose d’angoissant s’installe, une
désolation, est-ce celle du personnage ou celle de l’espace ? Ce serait
sans doute celle de leur première rencontre. On pense à l’étrangeté de l’espace
que l’on ressent en voyageant dans un pays pour la première fois pourtant quoi
de plus familier que les routes, les murs... ? On pense à Ponge et à l’étrange
familiarité des choses. On s’attend à tout moment à ce que la fiction bascule
dans le film de genre, fantastique ou d’horreur, quelque chose au-delà du réel
circule et demeure insaisissable. En effet, une tension progressive s’installe,
un rapport à l’espace bien particulier, un peu hostile, une étrangeté qui
imprègne les choses les plus anodines, les murs d’un chantier, des routes et
des véhicules d’une propreté et d’un alignement déconcertants, un centre
commercial où le personnage cherchant de l’aide auprès du responsable finit par
tourner en rond comme dans un cauchemar sans issue. D’ailleurs, l’espace y est
flou nous voyons surtout le visage du personnage réagir en plan rapproché, ses
réactions importent. En contre-champ à cette grande inquiétude, à ce ressenti
d’un espace hostile, une séquence vient contrebalancer la tendance et nous
voyons Anouar céder à une sorte de transe joyeuse, hésitant au départ d’adhérer
à ce que deux jeunes lui proposent : écouter une musique contagieuse qui
éveille l’envie de bouger. C’est à ce moment-là précisément que le titre du
film apparait, Karama est le nom d’un
quartier et l’on rappelle qu’il s’agit d’un mot arabe sans en donner le
sens, mais en quoi cela nous avance-t-il ? Amir El Kais est toujours hors
champ et le spectateur est en attente de ce fait qui se transforme en événement
à force d’être différé. On reste en attente de quelque chose et de
quelqu’un et dans les interstices de
cette attente des états, des émotions se vivent : l’anxiété, la colère, la
rencontre, la joie le temps d’une danse en plein air et puis retour à l’attente
pour enfin retrouver dans le désert un Amir qui dit ne pas être lui-même, que
le Amir que Anouar cherche avait juste besoin de disparaitre, besoin de sortir
de soi (ente autres en voyageant, en allant à la rencontre de l’inconnu …).
Dernier plan, rien ne se dénoue, tout reste ouvert, la tension, l’attention est
à son apogée. Effet de miroir ? Amir serait-il l’autre d’Anouar qu’il
cherche sans trouver, l’autre en soi qui s’éveille quand on sort de la
familiarité de l’espace ? Et quoi de meilleur que le cinéma qui permette
cette sortie de soi, le temps d’un voyage dans l’espace-temps inconnu du
film ?
Texte écrit lors des 13èmes rencontres cinématographiques de Béjaia.
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