Jilani Saadi est un réalisateur tunisien
dont la ville natale (Bizerte) est la source d’inspiration permanente, voire
une sorte de schème obsédant de son imaginaire. Loin d’une représentation
ethnographique et référentielle, sa caméra offre une image fantasmée de la
ville. La médiation poétique de la ville est marquante dès son premier long
métrage Khorma (2003), un univers
fait de jeux sur la mémoire collective, de mélange entre espace réel et espace
rêvé avec, toujours sous-jacent, un regard critique.
Espace de prédilection du cinéaste,
Bizerte figure dans la majorité de ses films. Bien plus qu’un décor ou une
scène, la ville avec ses détours, routes, ruelles, mer, forêts, grottes, pèse
comme un actant essentiel. Je propose d’étudier l’évolution de la perception de
la ville de Bizerte mobilisant le premier long-métrage du cinéaste intitulé Khorma (La Bêtise, 2003) et le dernier long-métrage distribué : Bidoun 2 (2014) où figure une nouvelle
manière d’appréhender l’espace, ce film a été préparé par le court-métrage
expérimental Bidoun où nous sommes
face à une ville fantôme.
Dans Bidoun
(2012), Bizerte est vidée de ses habitants et de ses bruits, des travellings
l’envahissent et la traversent. Nous plongeons dans ses routes et ruelles,
accompagnés d’une musique hypnotique, comme dans les entrailles d’un corps
humain. Le questionnement de sa propre pratique suite à un bouleversement
historique radicalise ce qui dans sa cinématographie est plus de l’ordre de la
rêverie que de la représentation typique. Le dernier film, Bidoun 2 (2014), est de bout
en bout rêverie, songe, mirage…
Comment
lire l’impact du politique sur cette nouvelle manière de concevoir et de filmer
la ville chez Jilani Saadi ? En quoi le politique métamorphose son
esthétique de la ville ?
1-
Du scénario,
lieu du conte, à la fiction minimaliste, espace du mouvement
Khorma raconte
l’histoire du personnage éponyme, sorte de fou du village, valet d’un maître
spirituel dont le commerce est la mort et les mariages. Vieillissant, il
s’embrouille et annonce la mort d’une femme au lieu du mariage de sa fille. A
partir de ce moment, les rapports de forces s’inversent et c’est le disciple,
simple d’esprit, qui s’empare de la place du Père pour devenir maître des lieux
de la vieille ville, lieu éminemment ritualisé. Tout se passe bien jusqu’à ce
que le personnage, rêveur avant d’occuper la place qu’il occupe, sorte des
attentes du groupe et se retrouve à son tour délogé de son pouvoir et chassé
des lieux après avoir subi une sorte de châtiment christique. Dans les derniers
plans du film, nous le voyons quitter le lieu labyrinthique de la Medina. Ainsi
raconté, le scénario présente bien un début, un nœud, un dénouement et des
transformations suite à des éléments perturbateurs. En effet, nous sommes bien
dans l’univers du conte au sens benjaminien[1]
avec des narrateurs au sein même du film
et une communauté qui écoute et réagit à son tour (Exemple : la séquence où se décide la promotion de
Khorma en maître à la place de Bou-Galb devant la mosquée, lieu communautaire
par excellence ainsi que celle où se décide sa destitution, toujours par la
communauté à la fin du film où nous les voyons arriver massivement, en plan
général puis en plans frontaux comme un seul corps, pour rétablir la justice du
groupe ).
Autre élément renforçant l’idée de groupe qui
régit les règles du lieu, la bande son du film, souvent intradiégétique, liée
aux chants populaires et traditionnels des mariages ou à celui du Coran
psalmodié au cimetière le jour du Moussem
(Fête des morts), autre lieu du rite régi par le communautaire. Psalmodies,
chants et danses collectifs introduisant la choralité sont à opposer à la voix
de Khorma chantant Abdelhalim sur les terrasses de manière solitaire.
Khorma, titre du film,
reprend donc le nom d’un personnage de conte qui vit une aventure, une histoire
sans restes, l’histoire d’un caractère au sens classique du terme. A cet égard, l’évolution vers le deuxième titre, Bidoun 2, qui signifie « sans » ou « bidon », est très
significative.
Dans
Bidoun 2[2],
nous n’avons effectivement pas affaire à des personnages typiques mais à des
figures qui errent, traversent l’espace de la ville sans suivre l’itinéraire
réglé et ritualisé de la vieille ville de Bizerte tel qu’il est configuré dans
le premier film. Dans ce film de 2014, le scénario se minimalise, la caméra ne
semble pas raconter une histoire mais enregistrer des moments de déambulations
vécus par Abdou, Aida et un curieux vieillard, avec quelques
événements-accidents ponctuant ces mouvements, trajectoires sans but. Leurs
routes se rencontrent par hasard mais ni nœuds ni dénouements ne sont
perceptibles. Il y a des gestes de violences fulgurants pouvant être assimilés
à des événements mais filmés de sorte à ce qu’ils passent inaperçus en deux
trois plans d’une durée plutôt brève : le viol d’une ancienne maîtresse,
l’accident, moment de rencontre des jeunes avec ce vieillard en peignoir
violet, personnage sur lequel s’ouvre le film dans une chambre face à un
aquarium. Encore plus symptomatiques de la désorientation de l’espace-temps
fictionnel, les derniers plans du film s’inscrivant plus comme le début d’une
autre histoire violente où se joue quelque d’archaïque. Le spectateur y voit le
geste d’une agression qui s’interrompt brutalement par un mouvement de caméra
plongeant littéralement au fond de la mer accompagnée, en fond sonore, de
souffles comme ceux d’un scaphandrier, puis dans le même mouvement retour à
l’eau de l’aquarium du premier plan du film dans la chambre du même
vieillard ; aquarium signifiant que nous étions sans doute dans le rêve ou
la conscience fantasmagorique de cet homme, vieillissant et anonyme, joué par
le réalisateur lui-même, ce qui n’est pas sans importance tel que nous le
développerons dans ce qui suit.
D’épisodiques,
l’errance, les déambulations sans motifs, la marche, les travellings en voiture
ou en vélo deviennent constants. Le temps où les personnages sont en mouvement
envahit la fiction qui se décharne pour devenir pur mouvement, enregistrement
d’une caméra qui suit des figures. La caméra souvent portée ou mise sur le
véhicule qui les fait se déplacer ne raconte plus une histoire, elle accompagne
des corps dans leur errance. Dans Bidoun
2, la fiction éclate, se fragmente, il n’en reste que des débris,
dérangeant, vertigineux aussi vertigineux que les mouvements des corps qui
portent la caméra. L’univers s’en retrouve complètement bouleversée, inversée
comme l’atteste d’abord le premier plan avec
cette photo de Ben Ali à l’envers dans un aquarium mais surtout ce
miroir promené sur le porte-bagage de la voiture du jeune homme qui traverse la
ville de Bizerte, ville dont nous voyons des fragments à l’envers où il devient
difficile de distinguer le haut du bat, miroir qui fragmente l’espace. Ces
séquences du miroir figurent à mon sens de manière tangible la désintégration
de l’espace, des personnages, de l’intrigue et donc de la fiction rassurante
pour le spectateur, une sorte de déterritorialisation[3]
au sens deleuzien. Ce dernier est mis au milieu d’une déflagration à décrypter.
La fiction n’est plus ce corps qui empêche le corps de s’éparpiller dans
l’espace. Est-ce une manière de dire la folie, la limite entre le visible et le
dicible, l’angoisse qui n’est plus contenu par une histoire comme serait
contenu un corps dans et par la peau ?
Retenons
pour ce premier point, une première métamorphose, celle d’un geste
cinématographique quittant le lieu du conte pour ce qui s’assimilerait plus à
l’espace solitaire du roman[4].
Visuellement
et cinématographiquement parlant, cette évolution est perceptible dans la
manière dont est représenté le lieu de la vieille ville de Bizerte d’un côté et
l’espace de la ville moderne de l’autre. Nous passons du labyrinthe à
l’étendue ; les plans s’ouvrent mais cette étendue est limitée par la
forme sphérique (obtenue grâce à l’utilisation d’une mini-caméra non
professionnelle ; la Gopro. Les figures dans Bidoun 2 se débattent à
l’intérieur d’une sphère souvent vide.
2- Du labyrinthe à l’étendue d’une sphère
Jusqu’ici
j’ai employé la figure de ville-labyrinthe sans la développer. En effet, la
vieille ville dans Khorma est
configurée comme un lieu où se tasse la communauté, condensée en un personnage
collectif. Les ruelles sont étroites et se resserrent sur les personnages comme
les codes de la circulation du pouvoir qui les régissent. Les journées comme la
circulation des personnages dépendent des rituels de la vie communautaire.
Bou-Galb, le maître, se réveille de bonne heure, fait sa prière du matin avant
d’attaquer sa journée où on le voit avec Khorma parcourir les rues de ce
labyrinthe de la Médina.
Quand
Khorma se rebaptise Bilel, prénom de celui qui appelle à la prière au temps du
prophète, le parcours[5]
que nous venons de décrire se répète, seule variation, le protagoniste n’est
plus le vieux Bou-Galb mais le jeune Khorma ; effet de miroir : nous
voyons les mêmes gestes, les mêmes déplacements vers presque les mêmes endroits
ou leurs équivalents dans des plans quasiment identiques.
En
effet, les plongées dans ce film renforcent l’idée d’un lieu complexe mais
rigoureusement balisé, celui de la doxa, murs qui s’affaissent sur les
habitants, murs rassurants mais se resserrant sur les corps dans cette exigüité
d’où ressort, dans la manière de filmer, l’ambigüité des frontières entre le
dehors et le dedans. Cette frontière indiscernable est reconduite par l’étrange
ressemblance de ses petites ruelles labyrinthiques avec l’intérieur des maisons
surtout quand elles sont filmées d’en haut. Ces plongées nous permettent de
constater et de structurer du regard l’être labyrinthique de ce lieu
communautaire.
Dans
le film tourné en 2014, les plans s’évident considérablement. Ce motif du vide
est d’autant plus essentiel dans le nouveau geste cinématographique que le
court-métrage Bidoun, (2012) ayant
préparé à ce Bidoun 2, filme la ville
de Bizerte vidée de ses habitants comme nous l’avons signalé en introduction.
Donc la notion du vide est primordiale pour la genèse même du long-métrage de
2014. Deuxième métamorphose, nous passons du lieu[6]
plein[7]
et homogène à un évidement et à une
hétérogénéité spatiale.
L’évidement et l’étendue des plans
s’expriment à travers la présence remarquable des travellings dans le film,
leur possibilité dit en quelque sorte ce passage du plein de la foule à ce qui
serait une ville en cours de dépeuplement. Les figures principales de Bidoun 2 ne cessent de traverser les
rues de Bizerte : Abdou en voiture, Aida à bicyclette, le vieux en
peignoir violet à pied. Ils ne vont pas quelque part comme Khorma ou Bou-Galb,
ils circulent sans avoir de destinations ni de
buts précis. On sait où l’on va lorsqu’on se déplace en groupe, l’errance
serait le fait du vide, de l’isolement, de l’abstraction d’une conscience qui
essaie de recréer le monde.
3- Des plongées « surplombantes » vers la
perte du point de vue
Dans
Bidoun 2, il y a quelques plongées
mais comme la camera utilisée
rend le cadre sphérique, le point de vue n’a pas l’air surplombant comme dans Khorma et comme le suggère toute plongée
en tant que vue d’en haut, détachée de ce qu’elle montre, à l’image de ce que
serait le point de vue d’un dieu du haut de son ciel sur le monde d’en bas. Dans
Bidoun 2, même en plongée, le point de vue demeure à l’intérieur de la sphère, faisant quand
même partie de ce monde intérieur où le haut semble très proche du bas. Il en
résulte une sorte d’élargissement des routes, des quartiers filmés,
indépendamment des paysages volontairement ouverts qui envahissent le film. En
d’autres termes, alors que la
position de la caméra en plongée dans Khorma
contribue au resserrement du lieu, celle de Bidoun
2, vu la forme sphérique des plans, participent à leur élargissement mais
avec la disparition de la possibilité de dominer l’espace d’un regard et de le
dominer en en étant à distance et en dehors.
Ceci
résonne très bien avec la présence du réalisateur en tant qu’acteur dans Bidoun 2 et son absence de l’univers
fictionnel dans Khorma. Sa présence
dans le film de 2014 implique le choix de la dépossession du pouvoir pour se
laisser aller au potentiel. Loin de contrôler et de maitriser l’univers crée et
dirigé, il en devient acteur personnage aussi démuni, aussi fragile que ceux
qu’il dirige. Sur l’écran, ce sont bien ses personnages qui le prennent en
charge. Après l’avoir écrasé en pleine nuit d’errance en automobile, Aida
propose de s’occuper de lui au lieu de l’abandonner sur l’autoroute comme le
suggère Abdou. Toujours avec ses lunettes de plage, il a littéralement perdu le
point de vue. Il est trainé en fardeau, corps inerte, marionnette de ses
acteurs ou vieux-nouveau-né que la jeune fille nourrit en mère consciencieuse.
La démarche dit la dépossession volontaire du pouvoir, qui dans le contexte du
tournage se traduit par la dépossession de la maitrise mentale de son propre
univers. Quelque chose qui est de
l’ordre de la perte est susceptible d’ouvrir l’expérience, d’ailleurs le film
se définit plus comme expérimental[8].
Cette démarche
cinématographique ouverte sur l’expérience serait aussi une position politique
de la part du réalisateur, avouant être complètement déconcerté par le nouveau
paysage de la transition démocratique qui a été le déclencheur d’une mise à
plat de son « savoir » et de ses outils d’expression
cinématographique. Jilani Saadi, exprime de part cette esthétique de la perte
du point de vue, l’urgence de renouveler son geste cinématographique et
d’enterrer la vieille méthode pour être en phase avec le changement historique.
4- Paysage de mer et de grottes : espace originel,
fœtal ?
Avec Bidoun
2 nous ne sommes plus sur la terre ferme même lorsque l’errance et le
mouvement des corps se fait sur les routes, le travelling fait défiler les
paysages et donne l’impression au corps de glisser dans l’espace comme serait
la nage au fond de la mer. La perte du point de vue, avec cette nouvelle
manière de filmer où le plan passe du rectangle vers la forme sphérique,
suggère comme un retour vers un espace originel, espace quasi-fœtal, où
l’univers du film n’est plus offert à l’extérieur sur l’écran en surface plane
mais comme ramenant le regard du spectateur à l’intérieur d’un monde, au ventre
de la terre, commencement de la vie, prémisses de l’existence. L’espace est
ainsi à reconstruire, à redessiner, à restructurer comme le début d’un monde,
c’est ce que suggérerait l’évidement de la ville, le vide s’exposant et se
surexposant dans Bidoun et dans Bidoun 2.
La présence marquante de la mer, résonne
avec la forme sphérique propice à la plongée dans les profondeurs plus qu’au
parcours linéaire et horizontal d’une surface plane que ferait un arpenteur
pour une représentation cartographique. Se pose alors l’hypothèse d’un retour
vers soi, d’une sorte d’interpellation à l’introspection. En somme, dans cette
nouvelle manière de filmer Bizerte en tant que ville natale du réalisateur, il
y a comme un retour aux origines, tels que peuvent le suggérer ces plans sur les grottes de Bizerte où
Abdou et Aida se débarrassent enfin du fardeau qu’ils traînaient partout.
Cette esthétique inédite configure-t-elle
un certain repli sur soi, se recroqueviller comme un embryon dans sa bulle
aquatique afin d’échapper à la terreur ambiante, à la médiocrité des discours
politiques de l’assemblée constituante en période de transition
démocratique ? La bande son reprenant les discours médiocres de
l’assemblée accompagnant les travellings en bicyclette de Aida absorbée par son
envolée et ne prêtant aucune attention à ce verbiage qui polluent l’espace,
pourrait le laisser entendre.
Ou bien est-ce une manière de vouloir renouer
avec ce qui serait un espace liminaire, celui de toute expérience au sens fort
du terme ? Une manière d’accéder à
l’espace primordial afin de tout recréer ? Ces espaces, profondeur de la
mer ou grottes nous ramènent à ce geste à aspect inchoatif venant après le
vide. Ceci assimilerait le geste cinématographique à une sorte de cosmogonie.
Le mouvement de plongée dans les profondeurs d’un inconnu, nous y lisons une
sorte d’interpellation du spectateur afin que se recrée un nouveau monde et un
nouveau langage forcément inarticulé comme tout langage de l’Evénement et de
l’ « Expé-ri-ence » (Claude Romano : 1999, 195). Ainsi,
l’immersion grâce à la bande sonore, surtout quand il s’agit du son de l’eau de
la mer, sonne comme une abolition du langage articulé et suggère la recherche
d’un autre langage à la mesure de l’Expérience politique qui peut rendre
l’univers aux Hommes.
Conclusion : L’interpellation du spectateur par
immersion
Selon Francesco
Casetti, tout film aménage un espace à son spectateur idéal et le configure en
le conditionnant du moins en partie. (Casetti : 1990). La forme sphérique, la caméra portée à même le corps des acteurs
enregistrant soubresauts et souffles, la musique souvent extradiégétique (donc ayant moins une fonction dramatique et
s’adressant plus aux sensations du spectateur) favorise l’immersion. Finalement,
la force de Bidoun 2 réside dans
cette alliance entre un univers, qui de part son désert peut être perçu à la
fois comme éminemment conceptuel, voire une proposition réflexive sur son
propre cinéma, et en même temps profondément sensoriel au point de nous
aimanter dans son propre espace. Evider, aérer, n’est-ce pas une manière
d’accueillir le spectateur, d’aiguiser son imagination et de l’inviter à créer
son propre monde, son propre film ? A travers un tel geste
cinématographique n’est-ce pas également, sur le plan politique rendre l’espace
au citoyen à travers des images non pas du « lieu commun » mais comme
le formule Didi-Huberman, des images qui rendent possible un « lieu du
commun », un espace comme celui que configure Bidoun 2 rendant compte de notre expérience vertigineuse à tous du
politique mais le faisant en un langage bien singulier, offrant des images qui
nous impliquent, qui provoquent « notre volonté de regard »,
suggérant une démocratie à construire en mettant en avant, non le critère du
consensus, « lieu commun », mais la singularité qui ne nie guère la
possibilité d’un lieu où il y ait un partage du commun. Nous terminons sur ces
expressions de Didi-Huberman qui résonne bien avec ce que fait le cinéma de
Jilani Saadi, susciter « la volonté du regard » et avec ce que
requiert l’acte critique, le « droit de regard », droit et devoir de
regard :
« Exposer
les peuples : interminable recherche de la communauté. A quiconque
s’interroge aujourd’hui sur le destin social des images, l’exposition des
peuples apparaîtra d’abord comme une quête impossible : le lieu du commun
ressemble trop souvent, en effet, au lieu commun […]. C’est notre regard, notre
volonté de regard qu’il faut investir, de cette responsabilité politique
élémentaire consistant à ne pas laisser dépérir le lieu du commun en tant que
question ouverte dans le lieu commun en tant que solution toute trouvée. » (Georges Didi-Huberman : 2012, 98)
Bibliographie
Bertrand
Westphal, La Géocritique, Réel,
Fiction, Espace, Les Éditions de Minuit, 2007.
Walter Benjamin,
« Le narrateur » in Écrits français, Éditions
Gallimard, 1991.
Michel Serres,
« Discours et parcours » in L’identité, Séminaire
dirigé par Claude Lévi-Strauss 1974-1975, Éditions Grasset et Fasquelle, 1977.
Michel de
Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Éditions
Gallimard, 1990.
Insaf Machta,
« Un film manifeste, Bidoun 2 de Jilani Saadi ».
[https://www.turess.com/fr/lapresse/93464]
Claude Romano, L’Événement et le Temps. Paris, Presses universitaires de
France, 1999.
Francesco
Casetti, D’un regard l’autre. Le film et son spectateur, Presses
universitaires de Lyon, 1990.
Georges
Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, L’œil de l’histoire, 4,
Les Éditions de Minuit, 2012.
Texte écrit en Avril 2016 à l'occasion d'une communication faîte à l'Université McGill. Montréal.
[1] « La tradition orale – héritage du genre
épique – est autrement constituée que ce qui fait le fond du roman […]. Ce que
le narrateur raconte, il le tient de l’expérience, de la sienne propre ou d’une
expérience communiquée. Et à son tour, il en fait l’expérience de ceux qui
écoutent son histoire. ». (Walter Benjamin : 1991, 270)
[2] Voici le
synopsis de Bidoun 2 : « Tunisie
2013, une société en pleine ébullition pendant la rédaction de sa nouvelle
constitution. Deux jeunes errants, Aïda et Abdou, se rencontrent une nuit par
hasard. Leurs routes vont se croiser et se décroiser jusqu’à partager leur mal
être. ». [http://www.africultures.com/php/index.php?nav=film&no=17209]
[3] Ces séquences d’un miroir qui
désintègre le territoire pourrait s’assimiler au mouvement de « déterritorialisation »
qui serait le fait du bouleversement politique. Cette « déterritorialisation »
est à lier fortement à l’immersion sollicitée par le film telle que nous
l’étudions dans ce qui suit. Elle pourrait fonctionner comme invitation à une « reterritorialisation ».
Nous aurons ainsi ce mouvement ou cette tension entre déterritorialisation et
reterritorialisation continue comme nouvelle manière de traverser l’espace,
« transgressivité » que la fréquence des travellings figure
pertinemment : « […] le territoire cesse d’être univoque. Les lignes de
fuite amorcent une déterritorialisation. Et le territoire, mu par cette énergie
qui le déterritorialise, est subordonné à une reterritorialisation provisoire
qui elle-même aboutira à une déterritorialisation ultérieure, etc. De même que
la transgression permanente finit par devenir transgressivité, un territoire
rendu incessamment mobile finira par être présidé (pour ainsi dire) par une
quasi impalpable dialectique déterritorialisante. » (Bertrand Wesphal :
2007, 89)
[4]« Le romancier, par contre,
s’est confiné dans son isolement. Le roman s’est élaboré dans les profondeurs
de l’individu solitaire, qui n’est plus capable de se prononcer de façon
pertinente sur ce qui lui tient le plus à cœur, qui est lui-même privé de
conseil et ne saurait en donner. » (Ibid,
270)
[5] Nous renvoyons à la notion de
parcours dans son lien au discours telle qu’elle a été développée par Michel
Serres dans par exemple « Discours et parcours » in L’Identité. (Claude Lévi-Strauss : 1977, 25).
[6] Concernant la distinction
« lieu », « espace », Michel de Certeau, dit dans L’invention du quotidien, 1. Arts de faire : « Un lieu est […]
une configuration instantanée de positions. Il implique une indication de
stabilité. Il y a espace dès qu’on
prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et
la variable de temps. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des
mouvements qui s’y déploient. […] L’espace serait au lieu ce que devient le mot
quand il est parlé, c'est-à-dire quand il est saisi dans l’ambiguïté d’une
effectuation. […] A la différence du lieu, il n’a donc ni l’univocité ni la
stabilité d’un « propre » ». (Michel de Certeau : 1990, 173).
[7] Dans La Géocritique, Réel, Fiction, Espace, les notions de « l’encore- vide »
et du « trop- plein » sont développées dans la partie « Référentialité »
et ce, dans leurs relations avec les mouvements de
« déterritorialisation » et « reterritorialisation ».
(Westphal, 2007, 130).
[8] Voir à ce propos, un article
très intéressant d’Insaf Machta, intitulé « Un film manifeste,
Bidoun 2 de Jilani Saadi ». [https://www.turess.com/fr/lapresse/93464]
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