Lmuja
de Omar Belkacemi est une aventure du clair-obscur dans tous les sens du terme.
Ses personnages sont d’abord des ombres, ombres d’eux-mêmes. Le ton est donné
dès le prologue dans toute sa complexité au cours de ce lent plan fixe qui
creuse dans le temps et imprime sur les murs des traces d’ombres et de lueurs.
Tout prend l’allure d’un drame, d’une tragédie mais à bien y regarder, il y a
une autre histoire que la lumière du film conte en amont.
Ombre est d’abord
Mokrane qui suite à la fermeture des usines pendant la décennie noire perd son
travail et ne trouve plus de quoi nourrir sa famille. Le mot
« fantoche » est prononcé dans le témoignage du gardien d’une société
dévastée. Il est interviewé par Redouane venant d’ailleurs enquêter sur une
crise économique laissée longtemps hors-champ. La mise en avant du terrorisme
sanguinaire immédiat a mis de côté ses répercussions économiques et existentielles
désastreuses sur des familles qui en souffrent jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à l’ère
des nouvelles révolutions. Le journaliste séjourne chez sa sœur, femme de
Mokrane, mort-vivant, ombre sans souffle, sans espoir qui tantôt se met à
vendre ses vêtements tantôt rôde dans les rues de Bejaia du matin au soir
jusqu’au soir de sa fin sous les yeux de son enfant. L’ombre, c’est aussi le
libéralisme économique qui pèse par son omniprésence à travers ce lent et long
travelling sur les conteneurs du port où la caméra finit par trébucher sur un
paquet de Marlboro surement pas par hasard. Plan subjectif, regard lucide de
Redouane menant son enquête. Mais détrompez-vous, l’ombre, tenue à distance,
imprègne progressivement le journaliste à l’œil observateur dont le regard
clairvoyant est nuancé voire assombri par un ami à la sortie du bar lui
reprochant de mal voir quand ce dernier conseille d’occuper l’espace public au
lieu d’enfermer le politique dans les bars. Lumière borgne, regard partiel,
pour bien voir il faut être sur place en Algérie. Ceux qui sont sur place ne sont guère
épargnés. Ils se perdent dans le discours au moment de l’urgence de l’action.
Tout en nuances, le point de vue sur la victime n’est également pas dénué de
clair-obscur. Sans ressources, Mokrane refuse au nom du conservatisme social
que sa femme travaille. C’est sans doute la seule à être positive, nous la
voyons constamment active, occupée à la maison, ne cédant pas à la déprime,
tentant de rassurer son époux au moment de l’insomnie, rappelant que la
dignité, c’est le travail.
La force du point de
vue qu’offre Lmuja est dans sa
subtilité et dans son côté insaisissable. Le nœud se serre, se complique entre
crise économique, traditionalisme et mauvaise foi du marché économique. La
séquence du bar le condense bien. On ne sait où se situe le cinéaste sinon dans
ces interstices entre ombres et lumières, dans la lueur de l’espoir comme
appel. Il ne fait que montrer le nœud, « mettre en lueurs » comme en
poésie, montrer, laisser le propos se cristalliser en langage lumineux ;
Jean Cocteau le disait bien, au cinéma l’encre c’est la lumière.
Tragique en apparence, Lmuja, donne matière à espérer.
En contre-champ de tout ce que nous venons de décrire, il y a la conscience
politique, le débat dans le bar aux murs rouges où l’on écoute Matoub Lounes,
la présence de l’enfant et sa joie pour le cartable et bien sûr le travail au
niveau de la lumière. La première séquence dont nous avons parlé n’est pas
complètement sombre, on voit des ombres mais ils sont éclairés par une lueur.
Le plan est coupé en deux comme qui dirait que le verre est à moitié plein. En
écho à cette lueur, il y a aussi cette voiture borgne à un seul phare qui passe
deux fois dans le film, effet du hasard dit le cinéaste, magie du cinéma, effet
du film vrai qui génère naturellement son propre sens. Il n’y a pas d’ombre
sans lumière et le film nous mène progressivement du clair-obscur vers une
déflagration finale de lumière immaculée coïncidant néanmoins avec le suicide
du père. Il n’est pas anodin qu’elle s’allie au cri de l’enfant. Ainsi, de l’ombre
nous passons à une lumière intense dans sa violence, elle n’en est pas moins lumière,
cri de l’enfance, de ses possibilités, ouverture de l’avenir à force de douleur
ou page blanche à écrire…
Film programmé en avant-première aux 13èmes Rencontres Cinématographiques de Bejaia le 11 septembre 2015 à 18h.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire