samedi 30 décembre 2017

Les Rencontres du Film Documentaire de Redeyef 2017 ou le geste restitué



« Le geste consiste à exposer une médialité, à rendre visible un moyen comme tel. Du coup, l’être-dans-un-milieu de l’homme devient apparent, et la dimension éthique lui est ouverte. »
Giorgio Agamben




Le cinéma nous offre le monde (plus que la société), nous dit Serge Daney. À Redeyef cette phrase n’a cessé de résonner en moi et j’ai compris qu’il nous offre plus que le monde, il nous rend à nous-mêmes et au monde à la fois, il nous restitue nos gestes perdus. 
Redeyef, c’est d’abord la terre jaune à perte de vue et le ciel bleu et blanc, une autre Tunisie dont on n’a pas l’habitude. La route vers Redeyef a été en elle-même une expérience cinématographique forte, une sorte de travelling de 6h où s’imprime de plus en plus le vide sur la rétine, où l’on passe de la société vers le monde, de la ville concrète, figurative vers les plaines et les montagnes, une étendue, un horizon de plus en plus abstrait. On se retrouve face à la terre comme astre, face à nous-mêmes sans bruit et sans artifices. 
Et quelle belle idée que d’avoir songé à des rencontres cinématographiques dans ce décor originel, au sein de cette terre rebelle, rebelle de part ses paysages, rebelle de part ses habitants, ceux qui font l’Histoire mais n’en jouissent pas. Les RFDR, c’est aussi l’engagement de jeunes cinéastes et passionnés de cinéma : Alaeddine Slim et Belehsan Handous, de jeunes venant aussi du milieu associatif : l’association Nomades 08 et celle de Rosa Luxembourg ; engagement dans la simplicité du geste, sans fracas inutiles, sans paillettes mais avec beaucoup de cœur et de convictions, engagement au plus proche de cette terre dont le paysage minimaliste offre la possibilité d’une infinité de projections. A la limite, le mot paysage n’y correspond pas, très connoté pour ce retour à l’origine de l’Histoire, à de la terre au sens cosmique du terme ; l’univers de The last of us, film du directeur artistique des Rencontres, n’est pas loin, du moins dans ce qu’il offre comme « moyen sans fin », comme geste nu, comme possibilité de reconnexion avec le monde.
Ce paysage monde, ces espaces écrans, ces « rochers ridés comme le sont les visages des hommes » - tel que l’a si bien dit Saad Chakali au cours d’une promenade entre deux projections dans un espace en dehors du temps et à la limite de la frayeur à force de beauté – résonnent bien avec les territoires filmiques de la belle programmation où écran et paysage extérieur se donnent et se redonnent la réplique, communiquent intensément : Que ce soit de manière poétique ou politique et sociale avec des films comme Forgotten de Ridha Tlili où l’on voit des jeunes de Sidi Bou Zid exprimer leur espoirs et désarrois quelques années après la révolution tunisienne.  Dans la même veine politique, Vidéogramme d’une révolution de Haroun Farouki et Andrei Ujica, la révolution roumaine perd de son « événementialité »  à force d’être télévisée, transformée en spectacles par moment touchant le burlesque. Son contre-champ est la fin de la première partie de La Bataille du Chili de Patricio Guzman, quand la caméra enregistre la propre mort de celui qui filme ; caméra et corps impliqués dans l’événement jusqu’à en perdre la vie. Nous sommes bien loin de la distanciation à la limite du comique. Cela se confirmera par l’héroïsme tragique d’Allende à la fin de la deuxième partie préférant le suicide  à l’abandon du rêve, une mort à mille lieux de celle, télévisée, celle qu’on inflige au couple Ceausescou, annonçant la corruption à venir.
L’intelligence de la programmation, surtout avec un contexte politique comme celui de la Tunisie, a été de proposer des dispositions différentes et variées par rapport à l’événement politique voire historique ; bifurcations et virages reprenant l’histoire de l’humanité entre espoir et désespoir. La Bataille du Chili ( film en trois parties durant plus de quatre heures) qui ponctue et inaugure, presque chaque jour, les projections des Rencontres est là, à mon sens, pour affirmer, confirmer, assurer la possibilité, la beauté du possible dans la résistance, résistance politique mais aussi comme nous l’ont montré d’autres films de la programmation, résistance poétique, poétique au sens de lien avec le monde, présence au monde, manière de faire avec les traumas de l’Histoire, de notre manière de faire mémoire ainsi que celle de dire le dé-sastre passé (Atlal de Djamel Karkar) ou présent ( Taste of cement de Zied Kalthoum ). Comment des corps, des individus incorporent l’événement pour en rendre compte en choisissant le radicalement poétique comme dans le film de Ziad Kalthoum (qui passe pour la première fois en Tunisie) où une voix, un œil nous racontent une histoire faite, non de mots mais de sons, de visages silencieux jusqu’au bout. Seule la mise en scène parle pour eux, montage alterné des chars en Syrie et des machines aliénantes auxquelles les réfugiés syriens se trouvent réduits au Liban, tentant de sortir du trou noir que la caméra reproduit jusqu’au vertige de la fin.
Désastre présent mais aussi désastre passé pris en charge par le si délicat Atlal de Djamel Karkar qui sonde la terre, les arbres, les visages, les êtres avec la générosité du regard aimant au point de permettre une parole dont la quintessence inégalable n’est pas affaire d’écriture mais de don et d’hospitalité envers celui qui a su les regarder et les écouter jusqu’à faire ressurgir le lieu de la trace et donner voix à la césure ; hospitalité aussi au sens derridien, l’hospitalité de celui qui est reçu, qui sait recevoir.   
Que ces Rencontres commencent par un magnifique concert de Abdullah  Miniawy et Ahmed Salah (producteur, musiciens et compositeurs égyptiens, musique indépendante accompagnant souvent des films indépendants) en dit long sur la ligne directrice de ce beau festival  autour du cinéma documentaire : nous ne sommes pas dans des territoires isolés, étanches à la vie, aux échanges. Nous sommes dans la voix, le son, la musique, la lumière rouge réchauffant Redeyef et tous les terriens présents, une présence au monde bien loin des articulations idéologiques.
La finesse avec laquelle ont été menés les ateliers « cinéma documentaire » avec Abdallah Yahia et  « documentaire sonore » encadré par Moncef  Taleb prolonge la démarche de la programmation. Prenant des voix, des paysages et des visages de Redeyef, projetés à la clôture, ils continuent le tissage de ce « Cinéma-Monde », nous ouvrant le monde, nous l’offrant dans ses confins, loin des images et des sons ressassés, consommés, sur-consommés. De ces films d’ateliers, je citerai Oukacha dont le personnage éponyme fait du théâtre à Redeyef une raison de vivre, mais aussi ces témoignages, ces voix sans images de personnes marginalisées et à qui on a ôté la voix, le droit de dire. Quoi de plus politique que de leur redonner voix  quelque soit le médium, musique, son et ou image. Les RFDR instaurent le geste dans sa simplicité, l’art comme manière d’être dans la résistance, dans la vie, dans la résistance pour la vie.

Delta, film de Djamel Karkar, réalisé au cours de ces Rencontres, dans le cadre de Regards (où, avec Ridha Tlili, il a été invité à poser son regard sur la ville) condense toute cette beauté, celle de Redeyef et de ce qu’elle a permis de faire surgir : dans une séquence finale, à partir du paysage, nous voyons surgir un visage en surimpression dont le soleil rouge prend d’abord la forme avant d’apparaitre comme visage humain, naissance de ce visage de l’astre, accompagnée d’une musique électronique résonnant avec celle du ciné-concert Le Maitre et le Géant, mené par Tarek Louati.  De ces Rencontres du film documentaire, de Redeyef, nous renaissons, nous en sortons plus présents au monde, plus vivants. 

Les Rencontres du Film Documentaire de Redeyef  du 20 au 24 décembre 2017

dimanche 24 septembre 2017

"Fais soin de toi" ou de la subversion du désir amoureux


Des corps, des visages dans les rues d’Alger (?), une musique entraînante à la fois joyeuse et mélancolique accompagnant les premiers plans, mouvements de caméra suivant les pas dansants dans l’espace public, c’est ainsi que se fait le lancement de Fais soin de toi de Mohamed-Lakhdar Tati. L’idée de quête du sens ou du déchiffrement des signes est annoncée par cette première déambulation assez lente et émouvante dans son attention. Elle se confirmera tout au long du film par les différents voyages en train, en voiture ou d’une personne à une autre sous forme de marche lors des moments les plus intenses et ce avec le même questionnement quel que soit le point de la carte : pourquoi est-il de plus en plus difficile d’aimer ?
Le film est une sorte de réponse à l’incompréhension de la mère vis-à-vis du célibat de son fils, le réalisateur.  Il n’y aurait pas eu cette sollicitation, nous n’aurions pas eu de film. Nous voyons l’échange entre mère et fils dès les premières séquences et comprenons d’où vient le désir de faire ce documentaire sur le sentiment amoureux en Algérie. Nous sommes face à un cinéma à la première personne, tout bon film l’est mais celui-ci l’affiche et en fait le principe même de l’œuvre, son origine et ce à quoi il est destiné : Soi comme soin du mal dit à moitié, Soi comme moment subversif et comme possibilité de refonder le politique en tant que liberté des individus et non en tant que domination des uns et des autres : parler d’amour, être face à celui ou à celle qu’on aime c’est comme « être face au président de la république » nous dit l’hilarant petit frère, c’est aussi parler de l’expérience de cette femme noire dont la beauté du regard traverse le paysage rouge aride se demandant si  l’amour existe vraiment, renvoyant à Tati sa question.
S’établit ainsi une sorte de cartographie très subjective de l’amour, à l’image de ce petit insecte que nous voyons errer sur une carte au gré de ses sens, au gré de son corps animal ; car il a fallu au moment du montage choisir des témoignages, les réduire ou pas et en laisser d’autres, voire prendre dans ce qui a été recueilli, avec le regard et l’écoute de celui qui est profondément habité par ce questionnement, ce que le voyage cinématographique a permis de comprendre, de prendre avec soi, de toucher, d’en constater la complexité et la teneur bien loin de l’image initiale.
Des fragments d’un corps désiré, halluciné, fantasmé traversent le film ponctuant la parole comme le font les plans sur la fourmi, l’abeille, la toile d’araignée, les paysages,  les plantes, les rochers, le ciel, la terre rouge, minéral, végétal, animal que le propre corps du cinéaste finit par rejoindre en ce plan final montrant son bras de très près, sa main, lui-même devenu carte de l’amour sur laquelle circule une fourmi résonnant avec le premier plan du film : circulation d’une fourmi sur la tige d’une plante.
N’a-t-il pas trouvé le chemin de ce qu’il cherche, trouvé ou flairé sa possibilité ? Au terme du film, nous avons l’impression que tout cela est déjà semé dés le début grâce à un montage subtilement poétique. Que seraient ces dévoilements non sans épaisseur et complexité que le film apporte à son initiateur et nous donne ? Le montage est éloquent, pas en tant que rhétorique mais en tant que poétique ; il interroge aussi bien l’humain que ce qui le dépasse, le vivant. Cette interrogation sur l’amour en Algérie s’inscrit dans une dimension autre que celle des frontières géographiques (la carte sur laquelle circule l’insecte est bien confuse) : une interrogation connectée de la manière la plus poétique à la démarche de l’univers, à ce que notre être au monde nous révèle souvent à notre insu, d’où les différentes contradictions dans les propos recueillis, paradoxe dans les mots mêmes ou parfois grand écart entre le discours et le corps. « Il y a ». Il y a quelque chose qui déborde la loi de la parole sociale et qui n’est plus possible à contenir, un très beau plan montrant des vagues immenses et violentes débordant la plage et des rochers artificiels jetés ici et là pour bloquer le flux sans y arriver dessine bien ce décalage entre le dit et le dire des regards. Au cours du film, nous sommes souvent ramenés aux sensations premières, celle de l’enfance (de l’humanité), celle de l’étrangeté du monde, de notre être au monde sans médiations réductrices. Ceci est évidemment angoissant, angoisse de l’Homme sans figures réduisant le monde à du balisé, nous enfermant dans des systèmes, nous condamnant à de la répétition sans différence, mais le film nous y invite à cette belle étrangeté du monde ramenant le silence nous éloignant des discours saturés de lois. Qu’est-ce qui s’y prête le mieux que le langage cinématographique, attentif à l’espace, aux ombres, aux langages muets des corps plus qu’à celui, encombré, de la parole ? Il y a dans le titre même « Fais soin de toi » et non « Prends soin de toi » (reprise d’un texto envoyé par une copine à son ami) une adresse et une interpellation quasi politique à sortir du langage de la loi vers l’écart du langage poétique et l’invention d’un langage amoureux à la mesure du vivant, un langage qui permet la rencontre avec l’altérité pour une rencontre avec soi, nous pouvons y lire ce que De Certeau appelle  « la poésie de l’homme ordinaire » comme stratégie de détournement des lois et des cohérences abusives. Fais soin de toi mise sur la poésie considérée comme notre seul et dernier recours pour reprendre contact avec le vivant, l’organique, le viscéral… Quoi de plus révolutionnaire qu’un corps amoureux, quoi de plus subversif que l’énergie de l’amour dans son aptitude à nous rendre on ne peut plus présent à nous-mêmes ?


Fais soin de toi de Mohamed-Lakhdar Tati, vu en avant-première aux Rencontres Cinématographiques de Béjaia (du 9 au 15 septembre 2017)

dimanche 13 novembre 2016

« Poétiques expérimentales » et nouvelles visibilités de la marge









Y a-t-il une littérature « postmoderne »[1] en Tunisie  et quel en serait le Post- ? Post- par rapport à quoi ? Et ce post- a-t-il induit le doute, le soupçon ou au contraire une sorte de regain de soi, une effervescence dans les discours de tout genre (mais essentiellement, historiographie, mémoires, chroniques…) ; la vitalité et le bouillonnement des expressions artistiques de ces dernières années pourraient le laisser entendre. Alors s’est-il ouvert un espace postmoderne dans le sens de « post-révolution », « post-Événement », espace dont les contours ou l’absence de contours commence à transparaître dans quelques œuvres artistiques ? Y a-t-il un espace artistique inédit ou métamorphosé post- 2011, un « espace-tournant » qui serait celui de la transition démocratique et que le roman ainsi que le cinéma configurent à leurs manières ?
Pour tenter de donner corps à cette interrogation, je vais solliciter deux romans de Kamel Riahi aux titres évocateurs El Michrat : Scalpel (2006) et El Ghourella : Le Gorille (2011) ainsi qu’un film de Ridha Tlili intitulé Région (2011). Ce documentaire vaut en tant que geste cinématographique et sera mis en relation avec d’autres films de la même période où se déclinent au pluriel des tendances cinématographiques similaires mettant en avant un « matériau brut », œuvres informes comme inachevées ou laissées à l’état d’esquisses, ouvertes à la porosité de la vie ; homme et langage ordinaire venant déstructurer, sortir les œuvres de leur étanchéité à la vie, sans doute dans un mouvement de déterritorialisation[2].
 Mettre en résonance les films et les œuvres romanesques cités pourraient attester d’un tournant dans le champ artistique tunisien, c’est du moins mon hypothèse de critique, ceci requiert une distance et demande plus de temps pour que la question prenne toute sa consistance mais c’est surtout, je dois l’avouer, mon hypothèse et mon ressenti de citoyenne qui parcourt les villes tunisiennes et les rues tunisoises en participant à des festivals de cinéma et à des ateliers d’écriture. Peut-être qu’une « critique postmoderne » peut également s’actualiser en expériences de terrain ou en témoignages avec toute la relativité que cela implique. « Critiques littéraires et espaces postmodernes » se contamineraient ainsi les uns les autres.
1-      Roman et film du « tournant »
D’abord pourquoi ce film et ces romans en particulier pour parler de ces nouvelles « poétiques expérimentales » qui font émerger de nouvelles manières d’envisager l’espace de la marge en le faisant accéder au devant de la scène et surtout en le configurant de manière singulière sans le réduire à de l’idéologique, en le laissant comme en suspens dans du poétique ? Le roman et le film configurent chacun à sa façon un tournant où il serait question d’un Post-, d’un après, voire d’un déplacement.
Ce qui m’a intéressé dans Sclapel, c’est son côté prophétique, annonciateur d’un déplacement qui peut être lu a posteriori comme le bouleversement « politique » avéré ; mais ce sont évidemment les conditions de réception contemporaine qui me le font lire ainsi, de cette manière emblématique. En effet, dans El Michrat, l’un des chapitres les plus marquants est le 2ème intitulé «  El Makhakh », « le dévoreur de cerveau », au cours duquel la vie est insufflée dans la statue de Ibn Khaldoun et c’est à travers le récit qu’elle raconte à Boulahya - l’un des personnages du roman, écrivain s’intéressant à la figure de l’historien sociologue et ethnologue, voyageur du 14ème siècle - que nous quittons le centre ville de Tunis vers des régions marginalisées, du moins ce fut le programme de la statue qui nous emmène vers un ailleurs indiscernable, méconnaissable. Ne supportant plus d’être sur le socle face à l’avenue Habib Bourguiba, avenue la plus célèbre de la capitale, elle décide de fuir et d’emprunter la voie ferrée à partir de la gare routière « Barcelone »[3].  N’ayant pas de billet, le personnage se trouve dans l’obligation de se cacher dans les toilettes du train et au moment du passage du contrôleur, il saute pour ne pas se laisser prendre. Après s’être cogné la tête sur un pont, Ibn Khaldoun s’éveille et nous suivons ses pas qui nous mènent vers d’autres lieux censés être ceux de l’une des régions du nord-ouest mais dont l’exploration révèle un espace fantastique, digne d’une dystopie[4] non sans lien avec le Tunis violent que l’historiographe tentait de fuir. Ses habitants, les « Mnafikh » (les Gonflés), renvoient au toponyme du village natal de l’auteur du roman. L’indécidabilité de cet espace de la marge entre le référentiel, l’allégorique personnifiant les maux d’une communauté et le poétique s’exprimant surtout à travers un traitement ironique laisse perplexe et sème une complexité qui contaminera les autres lieux « réalistes » du roman, voire les lieux tunisois contemporains, ceux du moment de son énonciation (Tunis, 2006). Ce chapitre demeure suspendu entre ces différentes bifurcations et complexifie la lecture des autres pages dont il devient l’ombre comme en surimpression.
Dans tout cela, ce qui me semble fondamental, c’est l’idée même du déplacement d’un élément figé de l’espace, sorte de vitrine, métonymie de ce que l’un des narrateurs appelle « la Rue des rues » qui sous ses apparences de modernité, cache des violences archaïques indiquées ironiquement plus loin entre autres par l’anecdote du suicide des oiseaux de la grande avenue. Intéressant en effet, ce dé-figement d’une statue qui voyage à la recherche d’autres régions, d’autres potentialités pour échapper à la violence du lieu. Ce serait peut-être trop naïf de lire ce déplacement d’un élément de l’espace, et pas n’importe lequel (lieu de la commémoration), comme ce qui augure d’un déplacement historique qui finit par advenir. Mais il y a là, incontestable, le désir  de déplacer le point de vue, voilà une notion bien cinématographique, vers une histoire mentale mais aussi spatiale comme l’actualise depuis 2011 des écrits portés beaucoup plus sur le propre de la marge ainsi qu’une nouvelle vague de cinéma documentaire qui offre aux regards, des lieux et des voix longtemps mis de côté, ceux des laissés pour compte, du moins par rapport à la manière de les écrire ou de les filmer sans discours idéologique les surplombant pour les réduire.
Le film « Jiha » (Région) de Ridha Tlili est tout aussi emblématique d’un certain tournant. Il s’agit d’un film geste  qui vaut d’abord en tant que manière de faire. La structure du film, le montage « sauvage » et la manière de filmer les habitants de son village natal révèlent un rapport singulier aux espaces-temps montés (gardés dans le montage) sachant que Tlili filme quotidiennement, garde ses prises de vues pour les utiliser ultérieurement dans ses projets. Le tournant est d’abord configuré à travers l’utilisation de deux genres de matériaux : des rushs filmés avant décembre 2011 comme le mentionne le générique de la fin du film et d’autres prises de vue captées après janvier 2011. Donc ici, l’idée de configurer un tournant est intentionnelle, voire avertie par le contexte historique par opposition au roman qui a été écrit en 2006 et ne pouvait que spéculer. Le déséquilibre temporel entre les deux parties du film du point de vue de la durée (1h contre 7mn) est en soi représentatif d’un événement qui vient interrompre quelque chose qui dure voire quelque chose qui pèse car la première heure, où il utilise les rushs filmés avant 2011, est faite de séquences très lentes[5], parfois des plans séquences où la caméra, nerveuse car portée, se déplace très peu, quelques panoramiques, quelques recadrages ou zoom, se contentant de s’approcher ou de s’éloigner des visages et des corps à filmer dans un espace rural où apparaissent quelques rares paysages arides. Cette lenteur reconduit le rythme de la vie quotidienne des villageois dans cette région ainsi que l’absence de tout changement ; rythme long qui fait pressentir le poids du temps ; poids qui, toutefois, se délie vers la fin de ce premier bloc spatio-temporel (bien hétérogène quand on prend le temps de bien regarder) à travers notamment un travelling en voiture sur une route entourée de montagnes. Quelques choses dans le rythme se libère par rapport au mouvement dans le cadre aussi, chorégraphie des corps à corps, cavaliers et chevaux, musique instrumentale supplantant progressivement la parole et puis derniers plans faits de vagues dont on entend et voit le mouvement.
Dans cette première partie du film faite de prises de vue antérieures à janvier 2011, le monde qui habite le village semble à l’écart, à la marge non seulement des villes et de la capitale mais comme à la marge du temps qui coule et qui serait ce qu’on appelle communément  le temps moderne. C’est une autre spatio-temporalité que figurent ces plans fixes, images tremblantes presque fantomatiques, sur des paysages vides comme nostalgiques d’un autre temps ; ce que rejoue la voix d’une grand-mère s’adressant aux ancêtres dans un chant traditionnel ou les cavaliers acteurs ouvrant le film et dénonçant leur mise à l’écart par rapport aux cavaliers de Sousse et de Tunis qui ont droit aux meilleurs chevaux ; chevaux utilisés pour la course mais aussi pour jouer des tableaux d’une autre histoire lointaine. Néanmoins, loin d’être monolithique cette première partie offre dans l’espace d’un même plan comme deux spatio-temporalités superposées, celle qui rejoue le passé et celle de ces visages qui marquent leur inscription dans le présent en formulant souvent à demi-mots (mais ce fut courageux à l’époque) des revendications économiques qui les ramènent au temps présent.
En effet, nous écoutons de manière successive des témoignages sur la difficulté de vivre au village, pas d’eau, pas de moyens, pas d’investissement de l’Etat qui viendrait remplir les rares paysages vides que nous voyons. Néanmoins, tout cela est dit timidement, les exemples abondent tel que cet homme qui prends le soin de demander au réalisateur s’il filme pour la télé avant de prendre la parole ou cet autre qui après avoir émis un discours ironique remettant en question la passivité du citoyen tunisien qui achèterait la bombonne de gaz sans protester même si elle atteint les 100d, ajoute au réalisateur en riant : « J’espère que tu n’es pas un espion, gare à toi si tu en es un ». Son dernier mot reste tout de même : « L’essentiel est que nous ayons la paix et évitions les troubles, l’agitation ». Cette agitation est justement ce qui marque la rupture ou le passage vers une autre spatio-temporalité, celle qui survient après le générique de la fin et qui ne dure que 7 minutes. Elle advient donc après la fin dans un post- qui marque un rajeunissement et une libération des corps et des voix. Filmés de très près, un groupe de jeunes crient, revendiquent leurs droits au travail, aux loisirs au même titre que les jeunes de la capitale, leurs rêves, ce qu’ils attendent du post- janvier 2011. Une énergie se libère, un autre rythme s’installe, rapide, incisif, bref, rythme que nous n’avons pas vu monter crescendo mais qui fait irruption au moment où le spectateur s’y attend le moins et qui s’oppose subitement à la parole qui se dit à moitié, à la désolation des paysages comme figés dans le temps, offrant vers la fin du film en plans d’ensemble et en plans rapprochés des visages de jeunes habités par une rage de vivre chantant non pas le chant des ancêtres, mais un chant révolutionnaire, conscients qu’un autre espace-temps s’ouvre, espace qui ne se traduit pas en lieux dans cette séquence finale. L’arrière plan n’est qu’un mur blanc ; espace prospectif[6] à imaginer, à rêver ; à construire, paysage que nous pouvons imaginer en tentant de déchiffrer les visages de ces jeunes, absents de la première partie du film.
Cette structure en deux parties est à mon sens une manière de figurer, une bifurcation inattendue qui viendrait rejoindre celle du roman à travers cette statue qui subitement prend vie et se détache de son socle pour aller à l’aventure. Néanmoins, dans le film comme dans le livre, il serait abusif de parler de rupture radicale, car y cohabitent parfois dans le même plan ou sur la même page divers temps inscrits dans l’espace ou sur la peau des êtres. Chacune de ces œuvres est marquée par un métissage et une hybridité spatio-temporelle digne d’une surimpression cinématographique.
2-      Espaces de l’hybridité et du métissage
Dans Région, il y a comme un mélange d’espace-temps (« tempuscules »[7] ?), plusieurs épaisseurs visibles et invisibles présentes parfois dans le même plan et parfois dans les interstices qui séparent et joignent une séquence à une autre. Celles-ci coexistent surtout dans la première partie du film tournée vers le passé. Plans d’ensemble et plans rapprochés s’alternent, la caméra portée se concentre sur des corps dans leur espace, elle devient corps parmi ces corps, à l’écoute de la voix et du moindre mouvement. Le peu de paysages vides et arides s’opposent à la générosité des corps filmés qui se donnent même en parlant du révolu et de la difficulté de vivre dans cette région. La caméra portée reconduit ainsi  une vie collective où elle en devient partie intégrante comme lors de la séquence d’un festival où rituels, chants et poésie populaires se vivent en communauté. Tel est aussi le cas, lors d’une séquence filmée à hauteur d’homme dans une place où l’on redonne vie au jeu rudimentaire des ancêtres appelé « Kharegba » en dialecte tunisien : sorte de jeu de dames que seuls les grands parents savent encore pratiquer, trace d’un passé rendu présent, les unissant et que la caméra d’un jeune réalisateur de la région capte de manière très simple en venant s’installer comme un corps parmi les corps de ces joueurs, tous vieux.  
Quand ils ne sont pas filmés ensemble, nous avons des sortes de tableaux portraits où visages et voix maintiennent leurs ambigüités tels ces plans rapprochés sur une belle grand-mère chantant des airs d’antan. Le spectateur perçoit une voix humaine, des voyelles ramenant à un instrument musical plus qu’à la parole articulée, voix humaine rétive à toute forme de récupération institutionnelle, fut-ce-t-elle celle des mots, mais les sous-titres permettent de comprendre qu’il s’agit d’une interpellation des ancêtres.  Elle est filmée de face avec pour seul arrière plan un « klim », sorte de tapisserie que l’on trouve généralement dans les villages, visage et mains tatouées de signes berbères, trace du passé sur la peau. Néanmoins, entre un plan et un autre vient s’incruster toute cette épaisseur spatio-temporelle, traces de divers mondes subsistant à travers les métiers et à travers des visages envisagés dans leur présence, réintégrant le temps quand il s’agit de parler de problèmes socio-économique tel que j’ai essayé de le développer dans le point précédent. Ces séquences sont lentes comme je l’ai noté et installent une familiarité progressive du spectateur avec un espace et des pratiques, des chants berbères venant d’un autre temps et subsistant à travers la mémoire vive des corps et voix qui l’incarnent et lui octroient une certaine présence-absence.
La présence subtile de la caméra portée, discrète et à l’écoute, permet l’ouverture des séquences à la vie et évite le danger de la récupération folklorique qui guette généralement ce genre de documentaire. Quelques plans de ce genre sont cités pour écarter, comme par ironie, cette manière de figer le vivant dans du folklorique en le privant de l’hétérogénéité de ses traces et en le décharnant de sa substance comme le feraient des images médiatique[8]. Ce danger est très vite détourné grâce au montage : les plans qui suivent ou qui précèdent ce genre de plans ( cités, à mon sens, pour être déconstruits) leur donnent une autre orientation telle la séquence des cavaliers sur leurs chevaux où la caméra épouse parfaitement le rythme des corps, animal et humain, dans leur envol comme en résonance avec ce que revendiquait l’un des cavaliers, dans la séquence précédente, en une langue arabe classique galvaudée mais qui se libère vers la fin en y insérant un seul mot dialectal ( « chwaya » qui veut dire peu, « chawaya houriya», un peu de liberté). En effet, la séquence d’après qui prise à part aurait pu fonctionner comme ensemble d’images folkloriques dignes d’un reportage télé, devient l’occasion de donner corps à ce désir de liberté. Ridha Tlili semble recycler, donner une orientation à ces rushs selon l’énergie du moment.
Le réalisateur arrive intelligemment à contourner le danger du folklore comme ce qui fige, en mobilisant des plans et une caméra qui sont à l’écoute du présent de ces personnes y compris quand celles-ci rejouent un autre temps, on y intégrant donc sa propre présence ce qui produit l’hétérogénéité foncière des séquences et de leurs liens demeurés ouverts grâce à ce que j’ai appelé un montage « sauvage ». Les plans ne sont pas esthétisés, cousus de sorte à reconduire une linéarité monolithique. On demeure dans le potentiel. Vers la fin, le film va vers de plus en plus de chants, de musique, de son : instrument traditionnel, vent et vagues comme dans une transe où les plans s’imprègnent de la force du cosmos, terre, vie nue. Avoir intitulé son film Région au lieu de donner le nom[9] du village est judicieux surtout que vers la fin du film nous en sortons vers d’autres régions marginales.
Par rapport à cette idée de métissage et d’hétérogénéité spatio-temporelle, les romans de Kamel Riahi sont aussi des objets curieux qui hésitent entre tradition et modernité, fragments d’hier et d’aujourd’hui, collés ? Montés ? comme dans un film au récit éclaté. Dans son premier comme dans son deuxième roman, divers espace-temps et divers langages et dialectes cohabitent donnant lieu à une hétérotopie[10] qui fait sortir le lecteur de la linéarité du récit et l’inscrit dans la complexité des nœuds spatio-temporels. Avec Scalpel, avant d’aborder le fait divers qui donne son titre au roman, le lecteur passe par ce que j’ai décrit ci-dessus, le voyage d’Ibn Khaldoun dans ce qui est censé être la périphérie pour découvrir des pratiques présentées comme celle d’un autre temps, celle d’une tribu rencontrée, digne des contes de Grimm, appelée les « Nesnes », êtres dotés de la moitié d’un corps, sachant que le terme « nesnes » vient du dialecte tunisien et signifie curiosité malsaine, voyeurisme, figures rappelant ainsi de manière allégorique celle des indics dans le Tunis contemporain. Cette région qui semble pure invention faite de misogynie, de violence, de torture, d’intolérance, de voyeurisme politique aura ses reflets, irradiera la texture des pages suivantes et se dupliquera par la suite dans les espaces du Tunis contemporain que les marginaux du roman traversent.  
Le métissage apparait également à travers l’insertion de formes littéraires traditionnelles venant du patrimoine de la littérature arabe (« khourafa » (légende), « Hadith »), de la littérature sacrée (versets du Coran ou de l’Evangile) avoisinant l’article de journal dont le roman adopte la typographie sur ses pages ou  le journal intime pas si intime que cela vu qu’il prend aussi en charge le récit et le commentaire du fait divers, celui de cet inconnu qui parcourt les rues de Tunis en moto pour trancher les Khadija des femmes ( mot désignant dans le dialecte populaire les fesses d’une femme) ; sans oublier une grande intertextualité allant de Van Gogh à La Dame aux Camélias, passant par L’Etranger, Mahmoud Darwish… Il y a également la narration qui se diffracte en diverses voix dont il est difficile de localiser le lieu et le moment d’énonciation et qui oscille  entre un style vivant reprenant le dialecte tunisien dans les dialogues et des formules désuètes rappelant l’écriture coranique ou la littérature pré-islamique aux formules  hermétiques ; avec une narration qui comporte en elle quelque chose de « grivois », un texte rabelaisien ancré dans le 21ème siècle tunisien, formes traditionnelles réintégrées dans la narration contemporaine, celle par laquelle commence le roman, je n’ose pas dire l’intrigue ou le récit vu la fragmentation en chapitres décousus. Bref nous sommes face à un espace littéraire en patchwork où règne l’ironie postmoderne[11], celle qui déforme, recycle, se réapproprie les formes et les contenus du passé pour tenter de raconter le monde d’aujourd’hui, dans le sens de le rendre plus ou moins présent dans sa multiplicité.
Le lecteur navigue ainsi entre des noms de rues, de places, de cafés qui existent vraiment dans l’espace référentiel tunisois («  La Rotonde », « le colisée », « le théâtre municipal » de l’avenue Habib Bourguiba) mais auxquels les narrateurs ajoutent une touche personnelle, celle de leurs expériences avec le lieu ou avec les personnes qui sont marqués par la trace du lieu en question telle que dans ce chapitre où est évoquée la Dame de La Rotonde.  La dame qui emprunte son nom au café est une prostituée, celle dont tombe amoureux « Ennegro ». Découvrant chez son ami une grande bibliothèque, il se réfugie dans la lecture pour échapper à la violence de son quotidien, ce qui lui permet par exemple de comparer sa belle prostituée à Marguerite de  La Dame aux Camélias. Cela donne une figure romanesque du marginal qui ne ressemble pas au personnage vraisemblable de l’écriture réaliste.
Dans le film comme dans les romans, nous sommes plus face à des « figures-personnes » qu’à des personnages typiques dont le récit romanesque ou filmique réduirait la complexité foncière. Ce tissu hybride, tel que je viens de le décrire, dénote une certaine recherche de la forme adéquate pour dire une réalité contemporaine de plus en plus complexe, cinémas et littératures en chantier. Il révèle aussi un certain jeu avec les formes traditionnelles non exempt d’ironie, ironie d’un sujet écrivant qui reconnait l’impossibilité de raconter ce nœud autrement que de cette manière biaisée, miroir diffracté où se mêlent ce que Whesphal appellerait des « tempuscules »[12].
3-      Poétiques expérimentales[13] : « prises de vie »[14], écriture documentaire, fait divers
Par « poétique expérimentale », j’entends plusieurs éléments dont le plus important me parait ce qui relève de l’espace de la marge, ce qui reste en dehors de la loi, ce qui est donc promesse de vie à savoir, des œuvres contaminées par des expériences ordinaires, des œuvres « chair »[15] plutôt que des œuvres « corps » pour reprendre la distinction de Michel de Certeau. Ceci donne des « poétiques-indices » au lieu de « poétiques-signes ». Comment ? En partant de « portions de vie », en adoptant une écriture documentaire qui brouille les nomenclatures où le fait divers, l’espace public, les régions oubliées acquièrent de la visibilité et une poéticité venant à la fois du lieu, de la référence et du medium attentif qui sait la capter sans reculer devant sa puissance entropique. Une écriture documentaire non dans le sens du 19ème siècle débouchant sur le plausible, le vraisemblable, le personnage typique mais dans le sens de tenter de donner voix et images à des expériences de vies quotidiennes qui déstabilisent l’œuvre et la contaminent provoquant ainsi sa belle entropie.
Les espaces publics deviennent de plus en plus matière à fiction et « l’homme ordinaire » pour reprendre de Certeau de plus en plus matériau du nouveau documentaire tunisien. Il s’agit souvent d’un réinvestissement d’espace éminemment symbolique et chargés politiquement pour faire un diagnostic ironique sur la société d’aujourd’hui, sur ses maladies et aspirations, comme une coupe synchronique du territoire. La source de Scalpel est bel et bien un fait divers qui donnera d’ailleurs quelques années plus tard en 2012, un docu-fiction intitulé « Echallat ». Quelque chose est à creuser dans l’utilisation du matériau du fait divers ou dans la présence discrète de la caméra face à l’écoute de personnes réelles, hommes ordinaires longtemps marginalisés y compris par la littérature et le cinéma officiels. Ce genre de roman au moment de sa parution en 2006 était assez rare. Ce qui m’a marqué, c’est l’effervescence[16] de ce genre d’écriture suite à janvier 2011, pas forcément en mêlant les différents genres que nous retrouvons dans Sclapel mais du moins en étant attachés à ce que l’on pourrait appeler l’urgence du contemporain, partir de l’actualité, du fait divers, de témoignages pour en faire des œuvres.
Cette tendance est d’abord remarquée, pour être honnête, de manière notoire, dans le jeune cinéma tunisien post-révolution qui aujourd’hui peut prétendre à ce qui serait une nouvelle vague de films essentiellement documentaire, mais là aussi la classification est désuète vu que les frontières entre poésie, fiction et documentaire est  non opérationnelle dans ce genre de films parmi lesquels nous pouvons classer Région de Ridha Tlili ou un autre film de Abdallah Yahia au titre évocateur, filmé à  Jbal Jloud, région périphérique de Tunis abandonnée par l’Etat et d’où le jeune réalisateur fait ressortir tout en étant très proche de ce qu’il filme, donc sans rhétorique et sans esthétisme gratuit, la poésie des hommes ordinaires ; le film est intitulé : Nous sommes ici. Il est difficile de figer ces films dans un courant, ce qu’il en ressort c’est surtout la force poétique des lieux marginalisés et des personnes filmées, force poétique qui rend véritablement désuète la distinction entre documentaire et fiction. Ces films fonctionnent comme ce que nous pouvons appeler des documentaires poétiques sachant ressortir l’intensité poétique des vies (des hommes ou des pierres) dans leurs milieux, créant ainsi une sorte de « tiers-espace »[17] propre au-dedans, à ce qu’on film ou écrit, et renforcé par le dehors, caméra ou texte qui ont su le voir et s’en imprégner. En cela le deuxième roman de Kamel Riahi, Le Gorille, est extraordinairement révélateur avec toujours quelque chose de précurseur. N’étant pas inspiré d’un fait divers mais de l’ambiance politique et sociale du régime agonisant, il annonce le fait divers d’un salafiste qui escalade l’horloge, signe du régime de Ben Ali. Au-delà de l’anecdote du fait divers annoncé, ce roman m’interpelle dans sa manière d’investir l’espace public et toujours les mêmes personnages marginaux qui fascinent l’auteur. Il propose deux manières de voir et donc d’envisager l’espace. Le roman commence avec une séquence très cinématographique, un personnage du haut de l’horloge regarde ceux d’en bas ; point de vue surplombant de Ghourella sur la foule. Puis quelques chapitres plus loin, un œil magique inversé interpelle le lecteur comme révélateur du mode de fonctionnement du roman mais aussi de ce qu’on peut considérer comme un « tiers-espace » qui n’est ni tout à fait la vie ni tout à fait l’œuvre, mais un entre-deux, vases communicants. Je m’explique, cet œil magique inversé, au lieu de montrer l’espace du dehors montre l’espace intérieur. En effet, du haut de son point de vue surplombant, « Ghorilla » voit l’extérieur mais nous ramène aussi à travers son monologue intérieur  à une appréhension de l’espace bien intérieure, personnelle et intime. Il est à même de nous les faire mieux voir car ces lieux souterrains et ou périphériques ne s’offrent qu’à ceux qui les expérimentent : la torture dans les sous-sols du ministère de l’intérieur tout à côté de l’horloge, les lieux publics comme quelques cinémas se transformant le soir en espaces intimes où se retrouvent les marginalisés, les bars et les cafés : « enclaves » où s’enferment les pseudo-révolutionnaires scrutant les infos et les commentant sans grande conviction. Tous ces espaces expérimentés viennent contrebalancer le regard extérieur inexpérimenté offrant l’avenue Habib Bourguiba en vitrine fallacieuse sauf pour les marginaux comme le Gorille qui avant d’escalader l’horloge et de réussir à avoir ce regard surplombant, ont pratiqué les rues et ruelles invisibles, cachés aux regards et que l’institutionnel tente d’enfouir dans l’oubli.
Voilà pourquoi l’appellation « poétiques expérimentales » s’est présentée : expérimentales dans la manière de faire « romanesque » ou « cinématographique » qui reste à suivre dans son développement mais expérimentales également par rapport à ce qu’elle offre de nouveau, projecteurs mis sur ce que le lecteur et le spectateur a tendance à voir dans les rues ou dans les régions lointaines mais pas dans les œuvres d’art, du moins de cette manière là tout aussi « brute » que « poétique », de manière à être envisagé plutôt que dévisagé. Ces nouveaux espaces, ceux des hommes ordinaires dans leurs existences quotidiennes sont de plus en plus présents dans le jeune cinéma tunisien de ces dernières années. Quelque chose qui s’est activé sans programmes, sans théorie préalable, sans concertation de groupes, est né spontanément[18] du moins au début. Après 2011, ces nouveaux gestes cinématographiques se sont imposés sans forcément être théorisés au préalable et sans que les jeunes réalisateurs soient toujours conscients de leurs portées, ce qui, à mon sens, donne plus de crédibilité et de consistance à la possibilité d’un tournant.
Le geste est aussi dans le mode de production de ces films qui ne suit pas le parcours institutionnel habituel, film souvent autoproduit échappant ainsi à la loi institutionnelle avec tout ce que cela implique comme difficultés financières et autres comme la diffusion par exemple. Par ailleurs, je crois que le cinéma s’y prête plus facilement que la littérature et le fait en tout cas plus rapidement sans doute parce qu’il est moins institutionnalisé que la littérature. Quand je dis geste « spontané », je pense aussi à la multiplication des ateliers d’écriture littéraire et cinématographique aujourd’hui, à la poésie de la rue en dialecte tunisien (quelque chose est à creuser du côté de la force subversive du dialecte)  et à des films s’affirmant comme pur désir de cinéma tel que Hécho en casa de Bellahsen Handous, filmé de bout en bout à l’aide d’un téléphone portable, sorte de journal intime au moment des événement de 2011. Ces poétiques expérimentales seraient aussi symptomatiques d’un désir de création, un désir tout court qui se libère après les années de dictature, expérience équivalentes à ce qui a pu se passer dans la littérature des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin.
Conclusion : le tiers-espace ou l’œil magique inversé
Que peut la critique littéraire ou cinématographique aujourd’hui face au monde, aux deux mondes, celui de l’œuvre et celui à partir duquel elle est produite. Elle ne peut que suggérer, donner à voir une construction relative parmi mille autres pour schématiser, une construction provisoirement habitable, provisoirement génératrice de sens, contenant en elle-même comme dans les billets d’espionnage son autodestruction au bout d’un certain temps. La critique littéraire et cinématographique à l’ère de l’espace postmoderne ne devient-elle pas ainsi à son tour création de mondes, à l’instar de l’écriture documentaire, scripturale ou filmique, fiction parmi les fictions, construction parmi les constructions, mondes imaginés parmi une infinité de mondes ? Au lieu de prétendre à l’élucidation d’un monde, elle ne ferait que l’infiltrer, le prendre avec elle, le « com-prendre », se l’approprier pour tenter de faire apparaitre sa complexité, son ambigüité indépassable mais tout en aménageant au sein même de sa complexité, entre deux nœuds, un refuge possible mais provisoire, nécessairement provisoire, provisoire et propre ; le « propre » qui selon De Certeau « est une victoire du lieu sur le temps »[19], comme l’est aussi  l’œil magique inversé du roman, qui au lieu de refléter l’extérieur montre l’intérieur, nous fait pénétrer dans l’intimité des choses perçues selon celui qui les perçoit. L’œuvre critique, romanesque ou filmique serait cet œil qui même inversé, déformé et déformant, montre et crée ce « tiers espace » qui n’est ni ce que nous voyons, ni ce que nous imaginons indépendamment de ce que nous voyons mais ce que l’on crée à partir de ce que l’on perçoit. La littérature et le cinéma tunisiens actuels sont obsédés par la réalité, réel réapproprié dans une sorte de « tiers-espace » qui n’est ni la réalité ni l’imagination, ni un plan ni un autre mais une relation, quelque chose qui se passe entre les deux plans et que je trouve inapproprié d’appeler synthèse. Ce « tiers-espace » serait ce que  décrit  Pessoa dans ce petit texte extrait du Livre de l’intranquillité :
« Nous ne débarquons jamais de nous-mêmes. Nous ne parvenons jamais à autrui, sauf en nous autruifiant par l’imagination, devenue sensation de nous-mêmes. Les paysages véritables sont ceux que nous créons car, étant leurs dieux, nous les voyons comme ils sont véritablement, c'est-à-dire tels qu’ils ont été crées. Ce qui m’intéresse et que je puis véritablement voir, ce n’est aucune des Sept Parties du Monde, c’est la huitième, que je parcours et qui est réellement mienne. »


[1] Concernant ce que l’on peut entendre aujourd’hui par le «  Postmoderne », voir l’article de Philippe Daros : « Le Postmoderne comme dissolution de l’œuvre ». [ http://www.vox-poetica.org/t/articles/daros2015.html ]
[2] «  Ces décharges d’énergie chaotique affectent le territoire au point d’en évacuer toute identité stable. Soumis à une dialectique qui se dérobe aux grands récits de légitimation (les idéologies à « manifestes » qu’avait recensées Lyotard), le territoire cesse d’être univoque. Les lignes de fuite amorcent une déterritorialisation. Et le territoire, mu par cette énergie qui le déterritorialise, est subordonné à une reterritorialisation provisoire qui elle-même aboutira à une déterritorialisation ultérieure, etc. ». Bertrand Westphal, La Géocritique, Réel, Fiction, Espace, Les Éditions de Minuit, 2007, p. 89.
[3]  « Barchalouna » comme le prononce le tunisien ordinaire et tel que choisit de le transcrire le romancier. 
[4] Par opposition à utopie, il s’agit d’ « une société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné.» Dictionnaire Larousse.
[5] Cette lenteur voulue nous rappelle le premier cinéma documentaire comme chez Flaherty par exemple d’où ressort quelque chose d’anthropologique voire d’ontologique : « Pour Flaherty la caméra est une interface paysages\visages, et le montage relate une durée, emprunte du temps cyclique des saisons […] ; dans la mouvance de Flaherty, le cinéma direct anthropologique de Pierre Perrault ou Jean Rouch par exemple. ». François Niney. L’épreuve du réel à l’écran, Essai sur le principe de réalité documentaire, Éditions de Boeck, 2002, p.55.
[6] Il s’agirait de l’émergence d’un cinéma de la « représentation » qui paradoxalement vient après un cinéma tunisien de la « projection » comme le distingue Tahar Chikhaoui dans un article où il aborde l’explosion du documentaire supplantant la fiction après 2011 : « Le flux des documentaires le montre bien. Ce qui est supposé avoir déjà eu lieu, ce qui est supposé avoir préparé la projection arrive après, semble se substituer à la fiction et la dépasser. Il s’agit juste d’un retour de l’histoire, un juste retour de l’histoire. » [http://nachaz.org/blog/entre-projection-et-representation-2-par-tahar-chikhaoui/]    
[7] Plutôt que les notions bakhtiniennes de « chronotope » et de « polyphonie », la notion de tempuscule me semble mieux correspondre au métissage spatio-temporel décrit dans ce qui suit : « Car il appartient au postmodernisme d’avoir assuré le passage de la ligne, des lignes, à une sémantique des tempuscules, à une sémantiques où les points échappent à toute dynamique linéaire dans un contexte de métissage et de dialogue absolus. ». Bertrand Westphal, op.cit., p.33.   
[8] «  Le voyeurisme, pour jouir à l’aise, suppose une mise à distance – qui protège du risque du contact – en même temps que l’abolition (illusoire) de toute médiation : une fausse transparence, une saisie direct et à sens unique des sujets offerts en objets à mon regard immédiat, sans recours, ni retour, ni détour (on aura reconnu le fonctionnement basique du dispositif télévisuel). C’est précisément ce que déjoue Vertov en affirmant visiblement le Ciné-Œil non comme une relation duelle (de prédation puis de monstration) et impérative (« vois ! » mais comme une relation triadique et réflexive (« je te montre que »), interposant la caméra dans l’échange de regards, incluant filmeur et spectateur dans le filmé, et la projection dans le film. ». François Niney. L’épreuve du réel à l’écran, Essai sur le principe de réalité documentaire, op.cit., p. 66.
[9] Nous comprenons que c’est l’espace de la marge qui importe beaucoup plus qu’une identification ou reconnaissance référentielle, c’est le rapport à la terre, à la poésie du cosmos qui est mis en avant mais avec un attachement au local traduit par la spécificité du dialecte par exemple. Par rapport à l’importance du « local » dans les sociétés postmodernes, voir Michel Mafessoli, Notes sur la postmodernité, le lieu fait lien, Éditions du Félin, 2003.
[10] Mélange de formes, de tons et de genres (à la fois fantastique et réaliste) : « Est hétérotopique tout « contre-cite » où les sites « réels » sont représentés, contestés, inversés. L’hétérotopie foucaldienne est cet espace que la littérature investit en sa qualité de « laboratoire du possible », d’expérimentatrice de l’espace intégral qui se déroule tantôt dans le champ du réel, tantôt en marge de celui-ci. L’hétérotopie permet à l’individu de juxtaposer plusieurs espaces en un même site, ceux-ci fussent-ils a priori incompatibles. ». Westphal, op.cit., p. 107.
[11] Parlant de Allan Wilde, Pierre Schoentjes, dit pour distinguer ironie moderne et ironie postmoderne : « Il retient le terme d’ironie pour circonscrire les deux attitudes, mais l’ironie propre au modernisme est « disjonctive », elle constate l’incohérence du monde aussi bien que du texte et s’efforce de la maîtriser, tandis que l’ironie « suspensive » du postmodernisme ne cherche plus à aller au-delà du paradoxe : avec sa vision encore plus radicale de la multiplicité, de l’aléatoire, de la contingence et même de l’absurdité, [l’ironie] abandonne carrément la quête d’un paradis – le monde dans tout son désordre est simplement (ou pas si simplement que ça) accepté » (Introd.). ». Poétiques de l’ironie, Éditions du Seuil, 2001, p.287.
[12] « L’interaction entre les tempuscules est, comme l’événement défini par Gilles Deleuze, « une vibration, avec une infinité d’harmoniques ou de sous-multiples, telle une onde sonore, une onde lumineuse, ou même une partie d’espace de plus en plus petite pendant une durée de plus en plus petite » qui pour rester perceptible, se déploiera au-delà du seuil d’intelligibilité. Se pourrait-il alors qu’une sémantique des tempuscules régît la logique archipélique du temps postmoderne ? ». Westphal, op.cit., p. 32.  
[13] Littératures ou poétiques expérimentales n’est pas à confondre avec un mouvement avant-gardiste tunisien du même nom qui s’est développé dans les années 60-70, ayant réagi contre les formes traditionnelles de la littérature arabophone et prônant des formes modernes esthétisantes (c’est pour cela que j’insiste sur le côté spontané du geste) qui ne soit ni réduplication du « patrimoine » ni imitation de l’occident mais une troisième voix. Le chef de fil de ce courant Ezzedine Madani a lancé ce courant à travers une œuvre qui a fait date : L’Homme zéro, récit du quotidien d’un homme ordinaire du matin jusqu’à sa condamnation le soir. En y réfléchissant, il pourrait y avoir une certaine filiation notamment par rapport à ce paradigme de l’homme ordinaire et de la poésie de son espace (probablement de manière consciente chez Kamel Riahi, même si les générations qui en ont héritées sont essentiellement celles des années 70 et 80). Néanmoins, cette filiation serait le simple fait du rapprochement du critique littéraire car les auteurs et cinéastes ne la réclament pas surtout que la critique de cette littérature expérimentale fut essentiellement structuraliste, que ses objectifs théorisés sont plus esthétique, formaliste, moderniste que sociaux ou politiques. Il y est plus question d’une histoire de l’écriture, une aventure intellectuelle obsédée par la littérarité du texte que d’une écriture « spontanée » de l’histoire comme je le pense de ces nouvelles poétiques littéraires et cinématographiques.
[14] L’expression « prise de vie » est empruntée  à Niney dans un chapitre intitulé «  Prise de vue, prise de vie » où il distingue « deux formes inaugurales » de mise en scène du réel et leurs limites », celle de Vertov et celle de Flaherty.  La présence de la vie dans l’œuvre n’est  évidemment pas prétention de restitution  sans médiation : « Le cinéma, comme toute technique et moyen d’expression, participe de la recherche et de la fabrication d’objets et de visions que nous puissions partager, de la nécessaire construction d’un monde commun habitable. ». François Niney. op.cit., p. 56.   
[15] De Certeau parle de l’ « opacité » de la chair par opposition à la « limpidité » du corps nommable : « De cette chair opaque et dispersée, de cette vie exorbitante et trouble, passer enfin à la limpidité d’un mot, devenir un fragment du langage, un seul nom lisible par d’autres, citable : cette passion habite l’ascète armé d’instrument combattant sa chair ou le philosophe qui en fait autant avec le langage, « à corps perdu », comme disait Hegel. ». Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Éditions Gallimard, 1990, p.219.
[16]Le rapprochement entre cette tendance de plus en plus affirmée dans le jeune cinéma tunisien et ce qui se passe dans la littérature tunisienne au sens large me parait fondamental vu qu’une sorte d’ « écriture documentaire » commence à s’affirmer depuis Janvier 2011, historiographies, biographies, site sur l’actualité publié en livre, récits d’incarcération publiés ou republiés, jusqu’aux fictions contaminées de plus en plus par l’actualité politique ou ce que l’on peut considérer comme le fait divers « politique », ainsi est le cas du dernier Comar de la meilleure première œuvre où une femme raconte de manière toujours aussi fragmentaire et déconstruite la disparition de sa fille partie en Syrie retrouver l’Etat islamique. Ainsi est également le cas du deuxième roman de Kamel Riahi qui annonce un fait divers survenu quelques mois après Janvier 2011 où un « salafiste » escalade l’horloge du centre ville pour y installer le drapeau noir.
[17] «  L’entre-deux abrite un possible, « le fantôme d’un troisième homme comme le dit Serres. Ce troisième homme vit à l’intersection des point de vues, dans un « espace médian » ; il est pure fusion et transforme l’entre-deux en un « tiers-lieu d’utopie » qui peut-être étendu au monde. […] Deux ans après Bahaba, Soja s’est à son tour prononcé en faveur d’un tiers-espace. Chez lui, le third space se métamorphose en thirdspace pour devenir un lieu de fusion intégrale : « Tout entre en contact dans le tiers espace (thirdspace) : la subjectivité et l’objectivité, l’abstrait et le concret, le réel et l’imaginé, le connaissable et l’inimaginable, le répétitif et le différencié, la structure et l’agencement, l’esprit et le corps, le conscient et l’inconscient, le discipliné et le transdisciplinaire, la vie quotidienne et l’histoire sans fin. ». Soja propose lui aussi une rupture explicite à l’égard des systèmes binaires. ». Bertand Westphal, op.cit., pp. 117-120.
[18] L’expression « prise de vie » est empruntée  à Niney dans un chapitre intitulé «  Prise de vue, prise de vie » où il distingue « deux formes inaugurales » de mise en scène du réel et leurs limites », celle de Vertov et celle de Flaherty.  La présence de la vie dans l’œuvre n’est  évidemment pas prétention de restitution  sans médiation : « Le cinéma, comme toute technique et moyen d’expression, participe de la recherche et de la fabrication d’objets et de visions que nous puissions partager, de la nécessaire construction d’un monde commun habitable. ».
[19] Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, op.cit. 


Ce texte a été écrit dans le cadre d'un colloque autour de Critique littéraire et espaces postmodernes, Sienne, Septembre 2016.